
Il décrypte ici les facettes d'un métier aussi palpitant qu'éprouvant: journaliste chargé de la rubrique judiciaire.
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Vous
avez obtenu une licence d'histoire en plus de votre formation de journaliste
mais vous n'avez jamais eu de formation particulière en droit, comment en êtes-vous
venu à travailler dans la rubrique judiciaire, qu'est ce qui vous y a attiré ?
Ce qui m’a attiré dans ce milieu… plusieurs choses :
l’envie de raconter des histoires. Les procès sont d’abord des extraordinaires
histoires humaines et le déroulé du procès ressemble même à une tragédie, il y
a un côté très théâtral. C’est une forme de récit qui m’intéressait tout
particulièrement.
La deuxième raison, un peu
différente, est que le milieu judiciaire permet de réellement faire du
journalisme d’investigation, d’agir comme un véritable enquêteur. Le « journalisme
d’enquête » est l’autre partie journalistique qui m’intéressait.
La rubrique judiciaire permet
d’explorer ces deux facettes du métier : devenir une sorte d’enquêteur,
dans l’ambiance particulière dégagée par les procès, qui permet d’être dans le
récit.
Vous
avez donc assisté à un grand nombre de plaidoiries, en particulier sur des
affaires importantes. Vous est-il déjà arrivé de former un avis à l'inverse de
vos convictions de départ suite à une plaidoirie ? Y a-t-il une plaidoirie qui
vous a particulièrement marqué de ce point de vue ? Qui vous a particulièrement
ébranlé ?
Changer de point de vue, pas
jusque là. Je peux vous parler de l’un des tous premiers procès que j’ai
suivis, un procès qui s’est déroulé à Grenoble, où il y avait deux hommes
accusés dont un qui clamait son innocence. Au cours du procès, la plaidoirie de
son avocat, un des plus grands avocats français, ne m’a pas fait douter mais a
contribué à forger mon intime conviction
qu’il était fondamentalement innocent ; ce que je ressentais et pensais avant
la plaidoirie (l’innocence de l’accusé à cause du doute) cet avocat l’a non
seulement renforcé mais l’a démontré et j’ai fini par en être convaincu.
Pensez-vous
que pour qu'il y ait grande plaidoirie il faut qu'il y ait grande cause ou
grande affaire ?
Pas nécessairement une
grande affaire, tout dépend ce qu’on entend par là. C’est une forme de défense
de l’homme en tant qu’homme. Quand il n’y a plus personne pour défendre un
accusé, le dernier qui reste est l’avocat. Dès lors qu’il se sent investi, il
peut y avoir une grande plaidoirie. Les procès peuvent aussi avoir plusieurs
visages : il y a des procès où l’on défend une cause politique ; et
des grandes plaidoiries où l’on défend surtout un homme.
Pensez-vous
que ce soit le texte ou l'orateur qui soit le plus important dans ce genre de
situation ?
C’est vraiment une
combinaison des deux. Je pense que ça vient d’abord de l’orateur. Pour que les
mots aient un poids, prennent de la force, pour que leur dimension soit
dépassée, il faut un orateur qui parle à un groupe mais dont on doit avoir le
sentiment qu’il parle à vous personnellement. C’est leur grande force, pour
ceux qui y arrivent en tout cas.
Comment
garder un sens critique face à une bonne plaidoirie? L’esprit critique
d’un journaliste s’acquière-t-il par l’expérience, au fur et à mesure ?
Le chroniqueur judiciaire
garde un esprit critique. Il peut estimer qu’une plaidoirie a été très belle,
très forte, sans être pour autant convaincu. Il y a eu une plaidoirie que
j’avais trouvée très impressionnante, celle de Touvier, dont l’avocat s’est
attaché à défendre l’indéfendable. Mais à un moment donné, le poids des mots
s’arrête devant la réalité des faits.
Comment
voyez-vous le rôle des médias par rapport au monde judiciaire, quel rôle joue
la couverture médiatique d'un procès ?
Elle est assez faible, contrairement à ce que l’on pense
habituellement. Quand ce sont des procès qui durent plusieurs jours, les jurés
vivent dans une sorte de bulle durant toute la durée du procès, qui les protège
de l’extérieur, des médias. Cette bulle fait en sorte qu’il y a très peu
d’influence extérieure. Les médias jouent surtout un rôle avant le procès car
les jurés peuvent avoir un apriori sur le procès d’après ce que la presse a
raconté avant. Sur les grandes affaires criminelles très médiatisées avant le
procès, le juré peut arriver avec des idées dans la tête. Mais je pense que,
pour se forger une opinion, c’est le procès en lui même qui l’emporte largement
dans ce cas.
Vous
avez donc suivi de nombreuses affaires pour France Info, avez vous déjà eu des
réactions, des critiques sur votre manière de les couvrir, des pressions ?
Des critiques, oui, des pressions, non. Il y a eu un procès
qui a suscité des interrogations sur sa légitimité, l’affaire Papon, dont moi j’estime
qu’il devait avoir lieu. Ces interrogations avaient instauré une forme de
pression globale mais pas de pression directe.
Avez
vous déjà assisté aux concours d’éloquence de la Conférence* ? Qu’en
pensez- vous ?
Oui. La conférence Berryer
est un vrai, un pur exercice d’éloquence, où l’on est sur l’exercice vraiment
oratoire, qui peut être drôle et cinglant à la fois. La conférence du Stage, c’est
autre chose : ils sont trois-quatre à plaider chaque semaine devant un
jury composé d’anciens. On est davantage dans la situation où un avocat juge un
autre avocat sur sa capacité oratoire mais aussi sur la solidité de sa
plaidoirie etc. N’attendez pas de moi que je me livre à une joute oratoire avec
les jeunes de la Conférence, je ne m’y risquerai pas !
*Plus d'informations sur la Conférence des avocats du barreau de Paris ici.
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Découvrez aussi:
La soirée "Plaidoiries Imaginaires" : l'éloquence et l'art oratoire lors du festival.
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