
Martine Burgos est sociologue de la lecture, membre de l'Équipe Fonctions Imaginaires et Sociales des Arts et de la Littérature à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales.
- Qu’est-ce qui vous a poussé à
vous intéresser à la lecture à voix haute ?
C’est
une demande qui m’a été faite. Cela fait plusieurs années que je travaille comme
sociologue de la lecture et, en 1997, une proposition m’a été faite par
Françoise Dubosclard qui travaillait à l’Agence régionale pour le Livre en
Auvergne et particulièrement d’un projet en partenariat avec les bibliothèques
de la région, Littinérance, des
rencontres-lectures avec des écrivains contemporains. Françoise Dubsosclard était
à l’époque une des premières à s’intéresser à la discipline de la lecture à
voix haute. […] Avec ses collègues, elles avaient décidé d’organiser des
journées de réflexion autour de la lecture à voix haute en invitant des professionnels
intéressés par cette pratique, que ce soient des gens qui étaient lecteurs
eux-mêmes -à l’époque il n’y avait pas beaucoup de gens qui se
revendiquaient comme tels-, ou des comédiens mais aussi des dramaturges, des
musiciens, des éditeurs, enseignants, bibliothécaires, travailleurs sociaux,
enfin des gens qui, d’une manière ou d’une autre, participaient à ce type de
manifestation.
Pour
donner plus de poids à cette démarche, elles avaient lancé une petite enquête
sur le public. Elles m’ont contactée et demandé de faire la communication
inaugurale de ces journées. J’étais bien embêtée parce que je ne m’y
intéressais pas particulièrement à l’époque, j’étais et je suis surtout
quelqu’un de l’écrit et, en tant que lectrice je n’étais pas spécialement touchée
par la lecture à voix haute. […] Lorsqu’on m’a parlé de cette enquête, je leur
ai dit que si elles me fournissaient du matériau avec lequel je puisse
travailler comme sociologue, j’étais d’accord. Elles m’ont envoyé les
questionnaires à mesure qu’ils étaient remplis. A l’époque, le principal
terrain sur lequel elles s’appuyaient était leur expérience de Littinérance. C’était une façon de
diffuser et faire connaître dans différents lieux du livre notamment des
bibliothèques des auteurs ou des textes qui leur paraissaient intéressants, et
cela au moyen de lectures à voix haute. On invitait dans les bibliothèques de
la région, dans des villes parfois très petites, des écrivains qui présentaient
leur travail et des comédiens lisaient des passages du livre. Les questionnaires
ont donc été diffusés auprès des personnes qui participaient à ces rencontres,
dans le public. A partir de là, j’ai décidé de faire des entretiens avec des
gens qui pratiquaient la lecture à voix haute. J’ai alors découvert un monde
que je connaissais de façon marginale, une pratique dont je n’avais pas mesuré
l’intérêt à la fois pour le public et les écrivains. Ceux-ci reconnaissaient
que c’était une façon pour eux de rencontrer le public, et dans d’autres cadres
plus intimes que le celui des salons où on n’a pas le temps d’échanger véritablement
avec les lecteurs. Dans ces manifestations, l’échange était plus vrai, plus authentique
avec les lecteurs. De leur côté, les comédiens, qui ont l’habitude de la
lecture à voix haute puisque la mise en bouche du texte est un moment important
de leur travail, reconnaissaient que lire un texte sans l’objectif du jeu théâtral
et de la mise en scène établit un rapport au texte très différent qui les
intéressait beaucoup. Ils faisaient la différence entre une lecture à voix
haute avec comme enjeu l’incarnation d’un personnage et la lecture à voix haute
de textes qui ne sont en général pas écrits pour la scène, où la lecture est en
elle-même une finalité.
- Vous ne connaissiez pas
de lecteurs à voix haute qui n’étaient pas comédiens ?
Au
début non. J’ai commencé par m’entretenir avec des comédiens. Très vite, ils
m’ont parlé de troupes ou d’individus qui pratiquaient la lecture à voix haute
de façon spécifique. Le premier dont j’ai entendu parler s’appelait Marc Roger.
Il commençait sa carrière. Et puis François de Cornière qui avait une petite troupe
basée à Caen et qui sillonnait la Basse Normandie avec ses « Rencontres
pour Lire » depuis 1980. Ce sont les premiers avec qui j’ai eu des
rapports exclusivement liés à la lecture à voix haute. François de Cornière
travaillait déjà depuis plusieurs années sur ce terrain là, Marc Roger commençait
à avoir une certaine notoriété. Ils avaient des parcours complètement
différents l’un et l’autre. Le premier était poète, le second avait eu une
activité professionnelle qui n’avait absolument rien à voir ni avec la
littérature, ni avec la lecture publique. Ils pratiquaient aussi des modes de
lecture complètement différents. François de Cornière avait une troupe, il
pratiquait une lecture à voix haute assez théâtralisée puisqu’il utilisait des
décors, des accessoires, faisait appel à un accompagnement musical. Marc Roger
quant à lui était seul avec son bouquin. Il intervenait dans des lieux
problématiques, l’espace public, et dans des lieux qui n‘étaient pas fait en
principe pour ce type de manifestations, alors que François de Cornière montait
ses lectures dans des lieux clos, des théâtres, des maisons de la culture, etc…
Ça a été un hasard, mais il s’agissait de deux démarches dans lesquelles les
protagonistes avaient des pratiques très différentes, je dirais presque qu’ils
étaient aux deux bouts des possibles de la lecture à voix haute.
Propos recueillis par Cécile Perrette
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