Moi, je me sens à
l'aise dans une bibliothèque, parmi les livres, les regards studieux ou
passionnés, le plissement des pages qui défilent sur les doigts d'une main
comme un voyageur sur un tapis roulant. Dans une bibliothèque normalement
constituée, il règne un silence foisonnant, habité de bruits intérieurs, incarné
de traits d'esprits et de bons mots qui ricochent comme des feux feuillets.
Alors, pourquoi
briser ce silence religieux par le bruit d'une lecture à voix haute ? Parce que
la lecture solitaire doit déboucher sur une expérience collective. Parce que le
plaisir de lire et la joie d'apprendre doivent être expulsés dans un flot
verbal, tantôt houleux, tantôt régulier, parfois plus mer d'huile que flot
d'ailleurs. Il faut alors établir un échange entre celui qui retranscrit,
chargé de redonner du sens, et son auditoire.
Lire à voix haute,
c'est assumer un texte. Le magnifier parfois, le rendre inaudible d'autres
fois. Lire à voix haute oblige en tout cas à lever la tête, à quitter la
forteresse de notre conscience pour transmettre le message d'un autre. Lire à
haute voix, ce n'est ni psalmodier, marmonner ou marmotter des morceaux de
phrase en communauté par habitude ou par rite. Lire à haute voix ce n'est pas
déclamer un discours, déblatérer une homélie ou tenter de convaincre un
auditoire comme un homme politique qui harangue la foule. Non, le lecteur à
haute voix propose à son auditoire de l'accompagner, il l'invite à suivre les
traces d'un auteur, dans lesquelles il a déjà ajouté son empreinte.
Lire des histoires
est par définition différent puisqu'il ne s'agit plus d'un texte, mais d'une
histoire avec tous les à côté festivistes et théâtraux que cela suppose. Il s'agit
alors plus de raconter, d'exagérer, de caricaturer, de varier les intonations
et les registres vocaux, les tonalités. Bref, de faire le pitre.
Lire à haute voix
au contraire permet d'aller au cœur du texte sans l'épuiser, peser chaque mot,
soupeser chaque phrase : c'est l'art pour l'art, la quête parnassienne.
Fabrice Luchini,
malgré son exubérance, est selon moi un formidable lecteur de Céline. Outre le
travail de démocratisation culturelle, on pourrait lui reprocher l'extrémisme
de ses incarnations, on pourrait dire qu'il en fait trop. Mais il est parfois
tellement jouissif dans ses interprétations, tellement puissant quand il déclame
qu'après l'usine "on emporte avec eux soi le bruit dans sa
tête". Le comédien est l'exemple qui confirme la règle : car comme l'a dit
Laurent Ruquier, après une lecture de Luchini ce n'est plus le bruit de
l'auteur qu'on a dans sa tête mais celui de l'interprète. Comment toutefois lui
reprocher d'être bon ?
Peut-être que
parce qu'être vraiment bon c'est savoir s'effacer derrière l'auteur et se faire
oublier des auditeurs.
Tous les ouvrages,
bien sûr, ne se prêtent pas à une lecture à haute voix. Lire la Critique de la Raison Pure à haute voix,
c'est un peu comme sauter du 7ème étage. La lecture à voix haute participe à
une certaine vulgarisation, à une démocratisation de la culture. Pratiquement,
elle permet aussi aux aveugles ou à ceux que leurs yeux trahissent, de
continuer d'une autre manière l'expérience littéraire. Et puis entendre lire à
haute et intelligible voix peut donner envie à l'auditeur de devenir lui même
un lecteur.
On peut devenir le
maître du texte de quelqu'un d'autre et le rendre contemporain. De la même
façon, la lecture de son propre texte par l'auteur peut s'avérer terriblement
décevante. Nous avons tous une image, un cliché en tête qui ne se réalisera
peut-être pas. Tel un roman mal adapté au cinéma.
Emmanuel Aumonier
Etudiant du Master Journalisme à Sciences Po Paris
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RSP, alias Radio SciencesPo, revendique sa liberté de parole dans des domaines aussi variés que la politique, la culture, le sport, la vie étudiante... diffusée dans les locaux de SciencesPo, elle est aussi accessible à tout public via des podcasts sur son site internet www.rsp.fm.
Ce vendredi 15 novembre, RSP a accueilli nos deux chargés de communication, Pierre Benoit Roux et Morgane Cuoc, qui ont décrypté de leurs douces voix le rôle d'un lecteur sonore et ont commenté les différents temps forts du festival Livres en Tête. Par ailleurs, l'équipe de Radio SciencesPo et nos deux fins palais auditifs se sont livrés à l'exercice d'une petite Dégustation littéraire, modèle réduit de celle qui se déroulera lors du festival le mardi 26 novembre, afin d'éduquer notre oreille à repérer le graal de la lecture à haute voix.
Pour retrouver l'intégralité de l'émission sur le site de RSP, rendez-vous sur cette page.
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